Sant' antone
VIE ET LÉGENDE.
Sa vie, contée par Saint Athanase et par Saint Jérôme, a été popularisée par la « LÉGENDE DORÉE ». Né vers le milieu du III ème siècle en Haute Égypte, il se retire de bonne heure au désert où le diable le tente à plusieurs reprises et sous différentes formes. Antoine résiste. Puis il accueille des disciples venus le rejoindre et organise la vie cénobitique. Mais le goût de la solitude le reprend : i l s’enfonce dans le désert en direction de la Mer Rouge et vit solitaire jusqu’à l’âge de cent ans passés.
Vers la fin de sa vie. il rend visite à St Paul Ermite, doyen des anachorètes de Thébaïde, nourri chaque jour par un corbeau qui, lors de la visite d’Antoine, apporte miraculeusement deux pains au lieu d’un.
Saint Antoine a toujours été un saint admiré (sans toutefois avoir jamais été aussi populaire que Saint Antoine de Padoue, compagnon de St François d’ Assise). Ses reliques, d’abord transférées du désert à Constantinople, seraient arrivées vers le milieu du XI ème siècle dans une célèbre abbaye du Dauphiné, Saint Antoine en Viennois. L’ordre des Antonins, spécialisé dans l’accueil aux malades atteints de maladies contagieuses, notamment « le feu de Saint Antoine » essaima à partir de cette abbaye et contribua à répandre le culte et le prestige du saint anachorète – devenu au fil des siècles un saint guérisseur – dans toute la chrétienté. On invoquait Saint Antoine contre « le mal des ardents )) (sorte d’épilepsie) la peste, la lèpre, la gale, les maladies vénériennes. Son pouvoir guérisseur passait pour toucher aussi les animaux, notamment les porcs et les chevaux.
REPRÉSENTATIONS.
L’iconographie de Saint Antoine Ermite est foisonnante. Il est représenté en général âgé, vêtu de l’habit des antonins (robe de bure avec capuchon), portant le tau (bâton se terminant par un T) et parfois une clochette. II est très souvent accompagné d’un cochon, son attribut privilégié, laissé par un de ses compagnons au désert ( à l’origine, il s’agissait d’un sanglier diabolique qu’Antoine aurait domestiqué et qui serait devenu son plus fidèle compagnon ).
Les scènes de sa vie qui ont le plus souvent retenu les artistes sont ses tentations au désert : les attaques du diable et des démons, les tentations charnelles et les visions de femmes dénudées, la visite du Diable déguisé en pèlerin (Bosch, La Tentation de Saint Antoine, XVI ème siècle, Lisbonne, musée national d’art antique), et la visite qu’il fit à Saint Paul Ermite avant de l’ensevelir (Grünewald. volet du retable d’Issenheim, 15 1 1 – 15 16, musée Unterlinden, Colmar).
« La bible et ses Saints » Flammarion »
Sant' antone in Corsica
L'ordre des Antonins, fondé au XI ème siècle, est un ordre hospitalier que l'on appelait en Corse : SANT'ANTONE DI L'ALLOGHJU. A l'origine, pour entretenir leurs commanderies et hôpitaux, les Antonins faisaient l'élevage de porcs.
Au XVII ème siècle en Corse, les couvents de moines hospitaliers étaient actifs. L'un d'entre eux, situé au col de Saint Antoine et aujourd'hui en ruine, offrait l'hospitalité à ceux qui venaient la demander. A la même époque, le moine de la maison proche des ruines de la chapelle, dans la plaine de Campuloru allait quêter de porte en porte à travers villages et pieve. Il préparait chaque année pour la 17 Janvier, une grande quantité de pains qu'il distribuait aux nombreux pèlerins venus faire leurs dévotions a Saint Antoine. Ces pains avaient le pouvoir de guérir hommes et bêtes des maux de gorge. Ils avaient en outre la vertu de préserver le grain de la pourriture.
A San Lurenzu, Saint Antoine était appelé : SANT'ANTONE DI U PORCU. En effet, Sant' Antone est le grand protecteur de la race porcine en Corse. Le 17 Janvier, le curé procédait à la bénédiction des troupeaux. A ce sujet comme à propos de sa spécialité de guérir les enfants, Saint Antoine le Grand fut progressivement supplanté à partir bu XV ème siècle par son homonyme Saint Antoine de Padoue. On reporta les processions et bénédictions pastorales au 13 Juin . . . ainsi, le culte de Saint Antoine de Padoue bénéficia des spécialités du Saint Abbé quelque peu oublié dans son triste mois de Janvier.
Sant' Antone di mezu Ghjennaghju a donné son nom à l'ergotisme gangréneux et plus tard au zona. D'une manière populaire, on appelle cette maladie : le feu de Saint Antoine ». Lorsque les corses invoquaient le Saint plus spécifiquement pour ce mal, ils l'appelaient : « SANT'ANTONE DI U FOCU »
De Nombreuses confréries étaient placées sous la protection de notre Saint. Celle de Calinzana faisait ses dévotions dans l'oratoire de Santa Croce. Sa vocation était placée sous le signe de la charité et de la solidarité. Au XV ème siècle, ses membres furent investis de la mission de « paceru » pour réconcilier des ennemis. En cas de disette, ils prêtaient le grain de semence aux plus démunis.
Si l'on connaît la réputation des oranges d' Aregnu, celles bénies le 17 Janvier ont la réputation de se conserver longtemps. Toute la population des villages voisins se joint aux habitants d'Aregnu pour participer à la procession : après la messe, on porte la statue du Saint toute décorée de bouquets de fleurs d'oranger à travers les ruelles du village. Et puis on raconte aux nouveaux venus comment les oranges de Saint Antoine, un jour, évitèrent miraculeusement une catastrophe. Alors qu'on était entrain de fondre du bronze pour préparer une cloche, la voûte du four se fendit. On apporta des oranges bénites qui, placées à l'entrée du four arrêtèrent aussitôt la menace d'effondrement.
– « Sant' Antone di Mezu Ghjenaghju
Stacca l'agnelli è faci u casgiu ! »
Sant'antone a a riventosa
Ricordi.
Le 17 Janvier, c'est le jour de Saint Antoine, fête patronale de Riventosa. Toute la journée, les activités professionnelles étaient arrêtées sauf, bien entendu pour ce qui concerne le bétail.
I Riventusani ont toujours eu une grande vénération pour SANT'ANTONE DI MEZU GHJENNAGHJU. Notre grand oncle, Ziu Noratu nous racontait que vers la fin du 19″~ siècle, à la suite d'un printemps et d'un début d'étés très secs, un violent incendie ravageait les alentours du village. Les fidèles, en procession, ont porté la statue du Saint jusqu'aux limites du possible tbce au brasier tout près des flammes ; le vent a alors tourné et les maisons ont été épargnées.
Mais revenons au jour de la fête :
Le matin vers dix heures, arrivaient des villages voisins des visiteurs, la plupart par dévotion et quelques uns en quête d'un bon repas ou d'un bon coup à boire. Quand ils s'approchaient des maisons, on les entendait répéter plusieurs fois : « BONA FESTA, BONA FESTA ». Les maîtresses de maison étaient aux fourneaux depuis longtemps et allaient se surpasser : cabri en sauce et lasagne ou une daube avec pulendina di granone, ou simplement de gros haricots Soissons au figatellu è panzetta ; et pour terminer, fiadone ou beignets au brocciu.
Pendant que les femmes s'activaient en cuisine, les hommes endimanchés devisaient sur la place par petits groupes. Et puis les cloches appelaient à la messe, c'était a ciccunata.
Rien que pour entendre a Ciccunata di a Riventosa, cela valait le déplacement. Les trois cloches : « a ciccona, a mezana è a chjuca» avaient été harmonisées par des fondeurs hors pair. Les connaisseurs disent que ce sont les meilleures cloches de la région. Il faut dire aussi qu'en ce temps là, il y avait au village des carillonneurs experts en la matière qui savaient faire chanter les cloches.
Cela commençait la veille au soir après la dernière neuvaine ; le jour de la fête, on reprenait la série des trois sonneries avant la messe et l'après midi pendant tout le temps de la procession. Ce jour là, l'abbé Mariani, curé de la paroisse, invitait le chanoine Lucchini, curé de Serraghju, l'abbé Battesti, curé de Lugu et celui de Poghju, l'abbé Bernardini ; il y avait quelquefois celui qu'on appelait u missiunariu, le père Cherens, venu d'ailleurs.
A la messe, M. Paul Guittet-Vauquelin (famille Guittet-Vauquelin, écrivains et historiens), du domaine de Petraghjolu, tenait l'harmonium avec maestria tandis que la partie chantée était assurée avec honneur et bonheur par les jeunes femmes et les jeunes filles du village.
A la fin de la messe. i panucci di Sant'Antone étaient distribués à profusion à toute l'assistance. Les personnes âgées les emportaient à la maison pour qu'ils assurent la protection des personnes et des biens mais les gamins les croquaient tout de suite à belles dents.
Après la messe, les visiteurs étaient invités au hasard des rencontres et des sympathies ; chez nous, il n'y avait jamais de Sgio du canton, mais mon père ramenait toujours outre son cousin Carl'Andria de Poghju, dont la présence n'engendrait pas la mélancolie, quelques «non endimanchés» dont visiblement personne n'avait voulu. Plus tard. lorsque ma mère n'était plus là, et malgré les difficultés de la vie, il y avait quand même une assiette pour «l'étranger».
Au cours de I' après midi, avait lieu la procession dans les rues du village avec la statue du Saint. Il était d'usage de procéder à des enchères pour avoir l'honneur de porter la statue. Cela s'appelait « luttà a stanga », chaque barre du socle où était posée la statue était mise aux enchères. Cela se passait dans une ambiance bon enfant. il y avait toujours quelques réparties des uns et des autres.
Je me souviens de celle de l'abbé Battesti que l'on appelait affectueusement « u pretucciu », réflexions pleines de finesse et de gentillesse, lorsqu'il interpella une villageoise qui, à défaut de deniers, avait la langue bien pendue : « Avanza o Farchetta è fatti onore chi averei a stacca farrata ». Elle avait la poche bien garnie. La dame ne répondit rien, vu l'endroit et les circonstances mais . . . En général, le montant des enchères ne dépassait guère 40 ou 50 francs par stanga, mais un jour, c'était en 1935, l'année des élections municipales, on sentait qu'il allait se passer quelque chose ; il y avait de l'orage dans l'air ; on passa tout de suite à un prix total pour les quatre stanghe. Deux « lutteurs » étaient en présence. Finalement, l'un d'eux l'emporta pour « mille frachi è quattru stanghe ». C'était une belle somme pour l'époque. En 1940, c'était la guerre, les hommes jeunes et moins jeunes étaient mobilisés ; on jugea qu'il n'était plus convenable « di luttà a stanga » . Cela n'a plus été repris depuis.
Aujourd'hui, la population traditionnelle locale s'est fortement amenuisée, le mode de vie s'est modifié, la profession agropastorale a pratiquement disparu ainsi que l'artisanat : menuisiers, cordonniers, maçons, meuniers, charretiers. Il était facile autrefois à tout ce petit monde de prendre la journée de Sant'Antone même si c'était en semaine, sans avoir à demander la permission à un patron ou à un chef de service. Pour les enfants de l'école, c'était congé grâce à ce qu'on appelait la journée du maire.
Maintenant, les cérémonies religieuses n'ont plus le faste d'antan ; le coté festif de l'époque est devenu une banalité. Le caractère folklorique de « lutta a stanga » a disparu. Alors le charme est rompu : a part quelques « rescapés » de ces périodes homériques, la plupart de nos concitoyens ne peuvent savoir ce que cela nous apportait.
Passe le temps et passent les gens, quand on pense à ceux, nombreux, parents et amis que l'on a connus, qui sont partis l'un après l'autre et qui dorment alignés l'un près de l'autre, on a l'impression d'avoir vécu plusieurs fois cent ans. Il ne faut surtout pas désespérer pour la génération montante, les jeunes sauront trouver la meilleure façon de vivre en paix et de s'aimer.
C'est ce qu'un vieux « Riventusanu » leur souhaite.
Aiacciu, Maghju 11 2002.
Augustin CASANOVA.